La particularité des prud’hommes

Publié le par Fanny

Au 30 juin dernier, on comptait 341 110 entreprises à Paris. Autant dire que le Conseil des Prud’hommes du Xème arrondissement a de quoi s’occuper. Car entre les patrons et leurs employés ce n’est pas toujours rose. Comment contenter les deux partis lors d’un litige ? Qui tranche ? Partons faire un tour rue Louis Blanc chez les « arbitres du travail ».
 
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Vendredi pluvieux. Les gouttes ruissellent sur les murs en verre sombre du bâtiment des Prud’hommes. A l’intérieur, juste à coté des ascenseurs, la liste des procès du jour et leurs salles d’audience. Premier étage : les litiges commerciaux.
 
Bien loin des salles grandioses des cours d’assises, la salle d’audience est un petit espace avec quelques bancs et un grand bureau. Derrière lui, sous le buste de Marianne, trois hommes et deux femmes ont pris place, un collier bleu blanc rouge autour du coup avec une médaille au bout. Première surprise : ici, ceux qui plaident et ceux qui jugent sont à la même hauteur. Exit les procès en assise ou l’avocat est une fourmi face au grandissime magistrat. Ici, face à nos cinq jurés, deux avocats en robe défendent leurs intérêts.  
 
Pour la énième fois c’est l’affaire de Sylvie Anselem qui passe devant le Conseil. Voilà trois ans qu’elle est en litige avec son ancien employeur : la SARL Maud Bijoux. Affaire complexe ou lenteur de la justice ? Ces deux facteurs semblent se combiner sur cette affaire à rebondissement. En 2006, Madame Anselem déclare être enceinte et fournit les papiers attestant de sa grossesse à son employeur. La voilà donc en congé. Quelques mois plus tard elle annonce qu’elle a fait une fausse couche et compte reprendre le travail mais elle se fait licencier.
Aujourd’hui, l’avocat de Maud Bijoux attaque le premier, prétendant démontrer que les papiers présentés par Madame Anselem pour confirmer sa grossesse sont des faux. Il évoque des entêtes et des signatures différentes, des médecins inexistants, des cachets de services médicaux qui n’ont rien à faire sur un tel document. Bref, pour lui c’est clair, Sylvie Anselem n’est qu’une affabulatrice qui n’a fait que s’attribuer malhonnêtement des congés maternité payés. Ultime bâton dans les roues de l’avocat de Madame Anselem : son mari travaillerait à l’hôpital et aurait pu avoir accès aux cachets des docteurs pour falsifier les documents de sa femme.
Mais face à l’offensive, Maitre Akri, avocat de Sylvie Anselem réagit. Il s’emploie tout d’abord à ridiculiser son adversaire, le tourne en dérision en ironisant sur son évidente paranoïa. Puis l’affaire tourne court car les pièces du dossier doivent être renvoyées en pénal pour qu’on ait enfin le fin mot de l’histoire : ces papiers sont il faux oui ou non ? Réponse dans un an ou peut-être deux. Madame Anselem n’est pas prête de voir la fin de son procès.
 
Au-delà d’une certaine dépendance des autres tribunaux comme dans cette affaire renvoyée en pénal, les prud’hommes ont d’autres particularités. Si ces procès sont différents c’est dans la forme plus que dans le fond. Car au fond le but est le même bien que le domaine soit spécialisé. Mais observer ces audiences pousse à noter des particularismes. Tout le monde, sauf les parties en présence semble détendus. Les formules de politesse y sont, certes, mais les avocats sont aussi proches des jurés que s’ils étaient assis autour d’un repas. Les  « objection votre honneur » des séries télé sont à des années lumières des Prud’hommes. Les jurés y attendent même les personnes concernées lorsqu’elles sont descendues boire un café. Moins aseptisés, moins codifiés, les prud’hommes redonnent une dimension humaine aux tribunaux.
Et pourquoi une telle décontraction ? Peut-être parce que les avocats ne s’adressent pas à des juges mais à des jurés élus parmi des salariés et des patrons. Des gens comme il s’en croise tous les jours ne serait-ce qu’en allant à la boulangerie. Leur présence rassure sans doute ceux qui viennent aux prud’hommes en espérant gagner leur procès. Qui ne se dirait pas : « ils ont une entreprise comme moi » ou « il sont employés comme moi », « ils sont à même de comprendre ma situation » ?
Avec la crise économique qui bat son plein, les licenciements ont augmenté. Mais malgré les procès qui s’enchainent, les prud’hommes ne perdent pas le Nord et restent bien dans leurs baskets, bien dans leur justice.
 

Publié dans Articles ISCPA

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