La rage dans le pied... la Martinique du ballon rond

Publié le par Fanny

« Il faut de la rage pour y arriver et être un bon ». C’est Emmanuel Rivière, meilleur buteur de Saint Etienne cette saison qui donne le conseil. Un conseil que bon nombre de jeunes footballeurs Antillais ont essayé de suivre parfois en vain. Quand on vient d’un autre terrain, la rage ne suffit pas toujours pour se faire une place.

Il est 17h, Emmanuel décroche son téléphone. Les après-midis et les soirées libres font partie de son quotidien depuis qu’il a terminé ses trois ans de formation. Le plus souvent, les élèves du club doivent patienter cinq ans avant d’espérer passer professionnel quand ils ne sont pas tout simplement renvoyés. Heureusement pour eux ce ne sont pas cinq années perdues.  Dans l’univers du football on sait que la tête fait partie du corps et qu’une tête bien pleine ne rendra pas le joueur plus lourd. Alors certes, Emmanuel a fait du sport, certes il a fait des efforts physiques mais il a aussi obtenu son bac.

A Nancy, Gaëtan Sidney est encore en formation, comme Frantz-Manuel Vulcain à Grenoble ou Christophe Lowinsky à Marseille. Ces apprentis footballeurs ont quitté leur foyer à 15 ans. Confiés à des clubs censés faire d’eux les Anelka de demain. Pour des jeunes qui n’ont d’autre ambition que le football, c’est la chance de réaliser un rêve et de donner un sens à sa vie. « J’ai débuté le football à 6 ans, c’est rapidement devenu une passion et même plus », raconte Gaëtan.

Eparpillés aux quatre coins de la France, ils viennent pourtant tous de la même île : la Martinique. Une île où devenir footballeur n’est pas un avenir courant.

Les rouages du football martiniquais

Le football est un monde de contacts. Il n’y a pas que celui du pied et de la balle qui compte. Il faut connaitre les bonnes personnes. Les partenariats entre les clubs locaux et ceux de la ligue 1 sont rares et il n’existe aucun calendrier des visites des détecteurs. Les seules  façons de se faire remarquer sont de connaitre celui qui organise la venue du recruteur ou d’être en sélection de Martinique. Malgré ces procédés, nombre de bons joueurs restent sur le carreau. Il existe pourtant un lycée spécialisé en la matière : le Pôle Espoir. Une école censée accueillir l’élite des joueurs de l’île. Mais un lycée où les partenariats manquent et où les polémiques fusent. Un lycée qui ne serait finalement qu’une roue de secours pour palier l’absence d’un véritable complexe sportif. Les bruits de couloirs y accusent un cadre de l’école de faire du favoritisme, appelant certains joueurs pour les prévenir d’une journée de recrutement et ignorant les autres. Pas à cause de leur niveau mais par pur caprice. 

Pour Jocelyn Germé, Conseiller Technique Régional de la Ligue de Football de Martinique « le football martiniquais ne pourra pas vraiment se développer tant qu’il n’y aura pas de politique sportive mise en place». Si le Pôle Espoir permet un minimum de formation aux joueurs, il ne leur permet en général que d’accéder à la section Senior du club de leur commune. « Il nous manque un vrai établissement de football ici. A la Réunion, la Région à investi 200 000 euros pour s’équiper. Il nous faudrait des dortoirs, des salles de musculation, de bons terrains, un espace clos où l’on pourrait leur proposer une bonne alimentation équilibrée et  un accueil » explique Jocelyn Germé. Un accueil, une oreille qui puisse écouter les ambitions des 12 à 14 000 licenciés de l’île et de tous ceux qui ne le sont pas parmi les 400 000 Martiniquais. La place du football en Martinique est énorme mais le nombre de licenciés est loin de représenter cette importance. Payer une licence pour ne jamais se professionnaliser a poussé beaucoup de joueurs à ne pas renouveler la leur. « On joue parfois  avec une licence qu’on n’a pas payé, mais l’essentiel c’est que l’arbitre nous laisse jouer » nous explique un joueur. Sur le site de la ligue de football de Martinique, on peut voir une courbe descendante montrant 13250 licenciés en 1999 et 12149 en 2004. Mais par-dessus ses problèmes de licence et d’équipements, l’île connait surtout un isolement footballistique.

 « Les recruteurs ne viennent que rarement »

Les trois quart des joueurs recrutés le sont à Clairefontaine lors de la Coupe Nationale où s’affrontent les Sélections de chaque région de France. La Martinique n’arrive jamais bien loin dans le classement final parce qu’ « en général les autres régions ont des joueurs qui évoluent déjà dans des clubs avec de vraies structures » précise Jocelyn Germé. Ce tournoi est l’occasion de se faire remarquer par tous les recruteurs, même étrangers qui viennent au rendez-vous.  Les joueurs n’ont alors que 14 ans. « Plus on est jeune, plus on a de chance d’être repéré. A 20 ans on est déjà trop vieux » confie Jérémy Mongis, joueur au Racing Club de Rivière Pilote (Club champion de Martinique). Pour lui, la chance n’est jamais vraiment venue mais il n’en démord pas : « je ne veux rien faire d’autre que du football. Si cela n’arrive pas, je serai sans doute électricien mais ce sera  sans grande conviction». Pour se faire recruter, Jérémy a fait jouer ses contacts. Il a réussi à passer des épreuves de sélection à Caen, en vain. C’est pourtant un bon joueur, l’un des meilleurs de son club selon son entourage, mais il ne correspond pas forcément à ce que recherchent les recruteurs. En Martinique, les détecteurs,  rois du ballon rond se font désirer. En plus de visites complètement aléatoires, inopinées et discrètes, les recruteurs sont difficiles. Une qualité pour le club, une épine dans le pied du joueur. Ils viennent avec un certain profil de joueur en tête. Et comme au supermarché, ils piochent dans les rayons pour trouver leur perle. S’il n’en trouve pas, ils rentrent bredouille, abandonnant les joueurs parfois excellents qui se sont présentés à eux.

C’est un peu le cas de Gérald Louis-Marie. Membre de la Sélection de Martinique, élève du Pôle Espoir, joueur dans l’équipe Senior du Racing Club dès l’âge de 16 ans, Gérald a aussi fait partie des 5  meilleurs joueurs de France lors de la Coupe Nationale de Clairefontaine, alors qu’il  jouait blessé. Ses qualités sont indéniables. Pourtant cette année, Gérald passe le bac et perd un peu plus espoir chaque année. « Je grandi, si je reste concentré sur le foot, je perdrai mon temps… Je baisse les bras, le foot est une question de chance et je n’en ai pas eu assez ».

L’emblème de la chance

Thuram, Henry, Anelka, Abidal, Malouda, Trésor, Gallas, Brillant, Hoarau…les grands noms Outre-mer du football ne manquent pas. Aujourd’hui, Emmanuel Rivière allonge la liste. Passé lui aussi par Clairefontaine à 14 ans, il a été recruté à Saint Etienne en même temps que Gaëtan Sydney à Nancy. Sydney : un nom que l’on pourrait bientôt entendre raisonner dans les stades. Alors que Gaëtan est dans la Réserve, Emmanuel est déjà devenu la star de son équipe. Une position qu’il explique avec aisance : « J’ai de la chance d’être là. J’ai toujours cru en moi et je réalise aujourd’hui une partie de mon rêve mais j’ai encore de l’ambition. Pour avancer il faut positiver et se donner à fond ». « Se donner à fond », c’est le lot de nombreux joueurs d’Outre-mer à qui la distance porte préjudice. Le défaut d’exil : une réalité qui dépasse les simples limites du football. Une réalité qu’il faudra peut-être un jour songer à remédier.

 

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Publié dans Articles ISCPA

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