Viens, il y aura du zouk !

Publié le par Fanny

 

 
A Paris ce ne sont pas les Antillais qui manquent. Martiniquais, Guadeloupéens et plus largement Guyanais et Réunionnais viennent chaque année grossir le nombre d’étudiants parisiens. Comment vivent-ils cette installation ? Que représente pour eux une intégration dans la capitale ? Enquête sur le comportement d’une communauté de plus en plus affirmée.

 

 

Emmitouflé jusqu’aux yeux dans une doudoune et noyé sous trois couches de pull, l’Antillais débarque de son île au chauffage naturel pour s’installer dans la capitale. A peine sorti de l’aéroport l’idée paradisiaque qu’il se faisait du continent se gèle. Il déchante vite. Dès lors il enchainera les « ka fè frèt » (il fait froid) et les insultes au climat en créole jusqu’à son retour au « pays ». Dur dur quand on vient d’une autre France de s’adapter au plancher de nos ancêtres les Gaulois. Imaginons des Africains chez Astérix et on comprend vite le gouffre qui sépare ces deux morceaux de France.

Un Martiniquais qui arrive dans l’hexagone sait pourtant à quoi s’attendre. Le continent il l’a vu à la télévision et on lui en a parlé. Mais rien de mieux que l’expérience pour comprendre de quoi il s’agit vraiment. D’autant que tous ceux qui ont pris le temps de lui raconter la vie en France se sont cantonnés à la version communautaire.

 

 La communauté Antillaise à Paris est énorme. Elle l’est d’ailleurs tellement que pour satisfaire ses membres, elle organise des soirées spéciales, des carnavals particuliers et elle a même une petite place sur la bande FM pour deux radio chères à son cœur : Tropiques FM et Espace FM. D’où la grande question : à quoi bon s’intégrer chez les Gaulois quand on a un bout d’Antilles à disposition ?

 

L’intégration partielle

 

L’étudiant qui arrive tout droit des Départements d’Outre-Mer est une bête curieuse dès son premier jour de cours : des gens qui parlent avec un accent rigolo on en avait déjà vu mais rarement d’aussi près. Pourtant ce ne sont pas les domiens qui manquent à Paris.

Importante mais méconnue, la communauté Antillaise permet aux nouveaux venus d’échapper à cette impression d’être un étranger. Elle le replace immédiatement dans un contexte qui lui est familier. Outre les amis qu’il retrouve, il se crée un nouveau réseau social de personnes qui le comprennent, qui partagent ses passions, ses angoisses et ses complexes, qui s’amusent des mêmes blagues que lui, qui aiment la même musique et qui ont des habitudes similaires aux siennes.

Dans son école, il est irrémédiablement attiré par ceux qui connaissent la même délocalisation que lui. Sémira, étudiante en communication fraichement débarquée d’une Martinique qu’elle n’avait jamais quitté se retrouve confrontée à ce problème : « dans ma classe, nous ne sommes pas nombreux à venir d’Outre-Mer. C’est pour cela que nous nous soutenons. Hors du cadre scolaire, la seule personne de ma classe que je fréquente est un guadeloupéen avec qui je m’entends très bien. Nous avons les mêmes délires. C’est ce qui manque à ma relation avec les autres. C’est ce qu’il n’y aura jamais du fait de la barrière culturelle. » 

Entre expatriés on se comprend. Car c’est réellement comme un expatrié que se perçoit l’Antillais. Il a la même carte d’identité que les autres mais une culture toute autre qui fait de lui un étranger systématique. Il n’est donc pas surprenant que son intégration ne soit que partielle. En société, il va s’efforcer de perdre son accent (ce qui est rarement chose facile) et de parfaire son français pour se débarrasser des créolismes. Il va discuter avec tout le monde et rigoler parfois avec ceux qui partagent son quotidien. Au-delà de cela, ne demandez pas à l’Antillais de 21 ans qui débarque dans ce qu’il appelle la Métropole de se plier à la coutume de la bise entre hommes. Le machisme outre atlantique est une quasi-religion. Pour tout le reste, l’Antillais tentera de s’intégrer mais jusqu’à un certain point. Rares sont ceux qui abandonneront le rhum pour un quelque autre alcool plus populaire à Paris. Le Rhum c’est sacré. A tel point qu’on a même revu le Notre Père qui êtes aux cieux pour faire le Notre Rhum qui est en fût. Une religion vous dis-je !

Les efforts de l’Antillais ne sont pas négligeables quand on connait la difficulté de sa situation. Pour un parisien moyen, vivre aux Antilles c’est mettre du piment dans sa vie, de l’exotisme, du soleil. Mais pour celui qui vient d’une île chaude qui sent les fruits et la vanille, se convertir à « l’hexagonisme » n’est pas envisageable dans son intégralité.

 

L’Antillais du week-end.

 

Si la semaine est l’occasion pour lui d’essayer de se fondre dans la masse, de parler avec des « ouaich », des « genres » et des « je kiffe » pour paraitre moins martien, le week-end est pour l’Antillais le moment idéal de mettre en avant son identité culturelle. Le Rhum sur la table, les plats traditionnels sur le feu, les colliers 971, 2, 3 ou 4 autour du cou, il est temps de choisir ses vêtements pour la Souskay.

Si le mot désigne à l’origine un mélange de miettes de poisson et d’épices mis en bocal et servis frais, à Paris, Souskay est une association qui organise des soirées Antillaises à thème. En trois ans, l’association crée par Kévin Breleur et quelques amis a su devenir le référent en matière de fêtes réussies. Pour Kévin c’est clair, « les Antillais ont besoin de retrouver un peu de chez eux ici et c’est parce qu’il n’y avait pas de soirées véritablement comparables à celles qui ont lieu sur nos îles que nous avons mis Souskay sur pied ». Un besoin. Voilà le mot qu’il fallait. Comme les Français qui migraient au Canada avaient besoin de parler français (d’où le Québec), les Antillais ont besoin de retrouver leur créole et toutes les traditions qui vont avec.

 

Lorsque l’Etudiant Domien veut s’amuser il n’a donc aucun autre choix que les soirées Antillaises. Car envisager de participer aux soirées de son école est encore un niveau trop élevé dans sa course à l’intégration. Et les « Viens, il y aura du zouk » n’y changeront rien. Etranger mais pas stupide, il sait d’ores et déjà que l’ambiance ne sera jamais la même.

Pour lui, il est impensable de se séparer de sa culture. Elle est de toute façon indissociable de sa personnalité. Et tant que vous n’aurez pas vu un Antillais en colère il vous sera impossible de savoir qu’arriver à un certain stade d’énervement, il lui est impossible de continuer de hurler en français et le créole prend systématiquement le relais. A y réfléchir il fonctionne un peu comme un ordinateur configuré en français dont tous les messages d’erreurs sont en anglais. Chez le domien, le message d’erreur est en créole… et c’est bien mieux comme ça.

 

 Si beaucoup d’Antillais ne s’intègrent pas facilement dans une société qui ne les connait qu’en surface et qui les assimile sans réfléchir à Francky Vincent et à la Compagnie Créole, c’est essentiellement parce qu’ils n’en n’ont pas envie. Car pour eux la « Métropole » reste un tremplin pour réussir dans la vie, prouver à ceux qui sont restés là-bas qu’on peut devenir quelqu’un. Nul besoin donc de changer de culture. Pour nombre d’entre eux, l’hexagone c’est une étape inévitable sur la route du travail pour un jour rentrer au pays et redonner vie à une île ou la vie économique s’essouffle. 

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Publié dans Articles ISCPA

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